Un retour de l’opposition au gouvernement risquerait-il de compromettre l’établissement du tribunal ?
L'article de Tilda ABOU RIZK
Il y a fort à parier qu’avec un accord sur le gouvernement et le retour des ministres chiites au cabinet, qu’ils aient ou non la minorité de blocage avec leurs alliés, l’opposition contestera en premier la légalité des résolutions du gouvernement Siniora, dont bien entendu celles qui se rapportent à l’établissement du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) qui doit juger les assassins de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, et de 22 autres personnes tuées dans l’attentat du 14 février 2005. Pour la majorité, il est incontestable que la crise politique et ses ramifications ultérieures s’articulent autour de l’affaire du tribunal. Le député Samir Frangié a même lié les derniers événements sanglants au Liban à l’affaire du tribunal et n’a pas hésité à en attribuer la responsabilité à Damas. « Lorsque la Syrie a senti que la date de mise en place du tribunal approchait, elle a mis tout son poids dans la balance pour ébranler davantage la scène locale en poussant ses alliés à amplifier leur mouvement de protestation, dans l’espoir de faire chuter le gouvernement Siniora », a-t-il récemment déclaré sur le plateau d’une télévision locale. De la sorte, le vide institutionnel aurait été total et l’ONU n’aurait plus eu d’interlocuteur au Liban pour poursuivre le processus d’établissement du TSL, cette épée de Damoclès brandie au-dessus de Damas.
Si l’on considère ainsi que la Syrie est prête à tout pour empêcher la procédure judiciaire de se poursuivre, un éventuel accord politique ne sera qu’une trêve, voire un détail, dans le cadre de la crise qui secoue le Liban depuis plus de deux ans. La question reste toutefois de savoir si, sous la pression de l’opposition, Beyrouth peut encore intervenir au niveau des Nations unies concernant le processus de mise en place du TSL, dans la mesure où celui-ci a été enclenché sur base d’une résolution prise par le Conseil de sécurité, sur base du chapitre 7 de la Charte de l’ONU, lorsque la dispute locale autour du TSL a atteint son paroxysme.
En principe, la réponse est non. « Le processus de création du tribunal est irréversible », assure-t-on de sources concordantes judiciaires et politiques, alors que l’ONU se garde de donner un avis quelconque. « La question est hypothétique. Si le cas arrivait, on l’étudierait à ce moment-là. Il est difficile pour nous de dire à l’avance ce qui va se passer », a déclaré le porte-parole adjoint du secrétaire général, Yves Sorokoby, à notre correspondante à l’ONU, Sylviane Zehil.
Mais il est difficile de croire que l’opposition renoncera facilement à une bataille qu’elle mène pour ainsi dire par procuration. Contester la légitimité des décisions du gouvernement Siniora, rejetées d’ailleurs toutes officiellement par l’ancien président Émile Lahoud, reste une arme dont elle va se servir et que les avocats de la défense ne manqueront pas non plus d’employer, à l’ouverture du procès dans l’affaire Hariri, prévue techniquement dans moins d’un an, et réellement dans près de deux ans, à La Haye, aux Pays-Bas.
« Si l’opposition veut adopter une nouvelle décision concernant le tribunal, elle aura besoin des deux tiers des voix en Conseil des ministres, ce qu’elle n’a pas. Mais là où elle peut nuire, c’est au niveau du processus en retardant à l’infini certaines décisions », explique Samir Frangié à L’Orient-Le Jour, en donnant l’exemple d’une éventuelle nomination d’un juge, que l’opposition peut bloquer, ou encore de la contribution libanaise au financement du TSL, qui nécessite un vote au Parlement.
Pour M. Frangié, la bataille autour du tribunal est loin d’être finie, surtout que la Syrie, pointée du doigt dans l’attentat du 14 février 2005 par la majorité et par l’ancien chef de la commission internationale d’enquête, Detlev Mehlis, semble loin de baisser les bras dans sa lutte pour entraver le processus international, que ce soit par ses propres moyens ou à travers ses alliés locaux. Dans ce contexte, M. Frangié rappelle que la crise s’est exacerbée après l’assassinat du député Gebran Tuéni, avec la publication du rapport Mehlis, et n’exclut pas qu’une des motivations des pourparlers de paix syro-israéliens soit la volonté de Damas de gagner ainsi la sympathie de la communauté internationale, dans l’espoir d’atténuer la pression exercée sur elle par le biais du tribunal.
Un séminaire
de Friedrich Ebert
Dans les rangs de l’opposition, on estime cependant qu’il est prématuré de parler de la politique que celle-ci adoptera vis-à-vis des décisions du gouvernement Siniora et qu’en tout état de cause, celle-ci « réagira au cas par cas ». De source officielle au sein de l’opposition, on indique ainsi que le 8 Mars « ne formule pas d’objection sur le principe de création du tribunal international, mais conteste le procédé sur base duquel il a été créé ». Et de rappeler dans ce contexte la polémique qui avait éclaté entre le président de la Chambre, Nabih Berry, et le Premier ministre, Fouad Siniora, au sujet de l’inscription des deux projets de loi en rapport avec le TSL à l’ordre du jour du Conseil des ministres. « On verra plus tard si des décisions injustifiées ont été prises. Chaque chose en son temps », ajoute-t-on, laconique.
Un séminaire organisé autour de la question du tribunal à Berlin et La Haye par la Fondation Friedrich Ebert et le Centre international pour la justice transitionnelle (ICJT) fait la lumière sur de nombreuses questions judiciaires, techniques et politiques en rapport avec la mise en place du tribunal. Dans le contexte de turbulences politiques actuelles, l’accent devrait peut-être être essentiellement mis sur le principe de « l’imperméabilité » du tribunal à toutes les gesticulations politiciennes dont il est le centre ou la cible. Cette idée est ressortie à plusieurs reprises des interventions des participants au séminaire.
Ce qu’il faut retenir, c’est que la procédure internationale judiciaire dans l’affaire Hariri suit son cours normalement et sûrement. Le greffier nommé par l’ONU, Robert Vincent, prendra ses fonctions en juin pour commencer à établir les différentes structures inhérentes au TSL. Ce processus ne peut en aucun cas être affecté par l’évolution de la situation au Liban, aussi dramatique soit-elle, ou par les réserves des uns et des autres sur la procédure de mise en place et sur la légitimité du tribunal ou encore sur certains points de son statut. De toute façon, la défense ne manquera pas de relayer ces réserves, une fois le procès ouvert, dans le cadre des exceptions de forme qu’elle est appelée à présenter à la cour internationale.
Parallèlement, il semble que les magistrats internationaux et libanais nommés au TSL ont commencé à examiner les règles de procédure et de preuve, même s’il reste difficile de confirmer cette information, étant donné le secret qui entoure toujours, pour des raisons de sécurité, les noms et les activités des juges.
Un long démarrage
Normalement, le tribunal doit avoir été constitué en janvier 2009, mais le procès ne commencera pas avant la mi-2010, dans le meilleur des cas. Il faut comprendre que le TSL ne fonctionnera pas avant un an, à compter du moment de son établissement. Il faudra en outre compter deux mois pour le transfert des documents de la commission internationale d’enquête au tribunal, puis deux autres mois au moins pour les inculpations, qui ne seront pas publiques, en attendant que des suspects soient arrêtés et que des détenus soient transférés à La Haye.
Les accusés devront ensuite comparaître pour plaider coupables ou innocents, puis la défense présentera les exceptions de forme. Dans le meilleur des cas, il faudra compter un mois pour que la cour se prononce sur les exceptions de forme présentées. Si elle les rejette, les avocats de la défense pourront faire appel et il faudra de nouveau attendre le verdict de la cour d’appel qui a besoin, semble-t-il, d’un délai plus long que le tribunal. Passée l’étape des exceptions de forme, la défense réclamera un délai pour étudier le volumineux dossier constitué par la commission d’enquête.
Dans ce contexte, il est intéressant de signaler que le TSL est doté, contrairement aux autres tribunaux internationaux, d’un bureau de la défense, qui est, à l’instar du bureau du procureur, un organe inhérent au tribunal. « L’objectif est d’établir un équilibre entre la défense et le bureau du procureur », explique M. Luc Coté, magistrat canadien nommé procureur dans le tribunal pour la Sierre Leone. On sait que dans le cas du Liban, le procureur sera le président de la commission internationale d’enquête. « Il est important d’avoir une défense forte pour un procès juste et fort. Le fait que le bureau de la défense soit prévu dans le statut du tribunal, donnera à cette instance plus de force et de crédibilité et lui permettra de s’associer davantage à des décisions cruciales prises par le tribunal », explique-t-il, avant de balayer les craintes d’une politisation du procès. « Tous les tribunaux internationaux ont été créés pour des raisons politiques, mais c’est leur statut qui leur garantit toujours l’indépendance et l’impartialité nécessaire. C’est le cas pour le tribunal spécial pour le Liban. Sans compter que les juges internationaux choisis sont complètement étrangers à la vie politique du pays concerné. Leur jugement sera rendu sur base des preuves établies seulement. Il est évident que dans chaque tribunal, et non pas seulement dans celui qui a été créé pour le Liban, il y a des juges locaux avec peut-être des sympathies politiques déterminées, même si celles-ci ne sont pas officielles. Si lors de délibérations, ces sympathies peuvent transparaître, les juges locaux sont là pour remettre directement la discussion sur les rails », souligne M. Coté.
Il reste que si la politique est amenée à jouer un rôle quelconque, ce ne sera pas bien entendu au niveau de la procédure elle-même, mais parallèlement à celle-ci ou au niveau des contraintes inhérentes au statut du TSL. Si l’on prend ainsi l’exemple du tribunal spécial pour la Sierra Leone, il est intéressant de relever que si le président libérien, Charles Taylor, poursuivi par la justice internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, commis entre 1991 et 2002, au Liberia et en Sierra Leone, avait pu être arrêté et traduit devant la juridiction internationale spéciale, c’est grâce à des tractations politiques qui avaient été menées à cette fin.
Dans le cas du Liban, l’une des difficultés auquelles le TSL sera confronté, c’est qu’il ne puisse pas aller haut dans la hiérarchie, à cause de la question de l’immunité qui ne figure pas dans le statut du tribunal. Affaire à suivre.
Tilda ABOU RIZK
Tuesday, 20 May 2008
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