Thursday, 22 May 2008
"Le Malheure du Liban c est que la Syrie, le considere comme une Province"
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de notre envoyé spécial à Beyrouth Patrick Forestier
Kalachnikov en bandoulière, les gardes du corps placent deux Mercedes blindées en position de départ. Dehors, la poitrine couverte de chargeurs, les fidèles de Walid Joumblatt scrutent la rue barrée par des blocs de béton et des blindés. Depuis l’arrêt des combats, c’est la première fois que le leader druze sort de son domicile de Beyrouth, quartier Clemenceau. Une incursion rarissime car il reste, avec Saad Hariri, le chef de la majorité antisyrienne, l’homme le plus menacé du Liban. Joumblatt est celui qui a déclenché les dernières hostilités... en dénonçant l’existence d’un réseau téléphonique clandestin, installé par le Hezbollah, dans les trois quarts du pays, et la présence d’une caméra à l’aéroport. Pour faire annuler la suspension par le gouvernement du général chiite qui commande la sécurité de l’aéroport, les miliciens du Hezbollah ont investi Beyrouth-Ouest, la musulmane, peuplée en majorité de sunnites. Une opération éclair qui a surpris Walid Joumblatt, comme la plupart des opposants à la Syrie. «Les armes crépitaient dans les rues, raconte Nora, l’épouse de Walid. Mais nous n’avons pas abandonné la capitale. Se réfugier dans la montagne aurait été une fuite.»
Arrive Walid, avec la mine des mauvais jours. Le chef du Parti socialiste progressiste (PSP) a traversé trente ans de guerre, mais ces derniers combats semblent l’avoir marqué. «C’est un coup d’Etat déguisé», lâche-t-il, en m’invitant à monter dans une Mercedes noire, dont il prend le volant. Glissée entre son siège et le boîtier de vitesses automatique, une kalachnikov à crosse repliable, prête à être saisie de sa main droite. Refermer la portière épaisse comme celle d’un coffre-fort demande un gros effort. Une protection indispensable quand on est l’homme à abattre. A l’arrière, un garde du corps, un pistolet-mitrailleur sur les genoux. De l’extérieur, impossible de voir les passagers et donc de savoir où se trouve Walid Joumblatt. Walid conduit lentement, comme si la menace était inexistante. Son propre père a pourtant été assassiné et Rafic Hariri, son allié antisyrien, victime d’un attentat. Depuis, une vingtaine d’autres personnalités ont été tuées. Walid Joumblatt reste en tête de liste, sans perdre son franc-parler. «A Beyrouth, je me sens davantage menacé, me dit-il. Le Hezbollah contrôle tout. Si j’évite de sortir, c’est aussi pour éviter qu’un attentat contre moi coûte la vie à des concitoyens», poursuit-il en empruntant l'autoroute du sud, prise en tenaille entre les pistes de l'aéroport et des quartiers chiites, fief du Hezbollah, où se cache leur chef Hassan Nasrallah.
«LE BUT DU HEZBOLLAH?
AFFAIBLIR LE GOUVERNEMENT
LIBANAIS»
Je lui demande pourquoi il a parlé du réseau téléphonique et des caméras de surveillance du Hezbollah : « Parce que ce parti a bâti un Etat dans l’Etat et travaille pour l’Iran, qui vient de marquer un point supplémentaire au Liban. Leur réseau téléphonique a été déployé au détriment de celui de l’Etat, qui, après la TVA, demeure sa principale recette. Selon le Hezbollah, ce réseau protège ses cadres. En fait, des milliers de lignes s’étalent, depuis Beyrouth jusqu’au Sud, à la frontière israélienne, mais aussi au Nord, et se poursuivent jusqu’en Syrie, où le Hezbollah trouve ses soutiens. Quant à la caméra installée sur le parking réservé aux avions privés, elle serait une mesure de sécurité ! Jusqu’à présent, Saad Hariri et moi, lorsque nous devions aller à l’étranger, nous partions de nuit, à l’improviste, dans un jet garé à l’écart. Il faudra désormais demander au Hezbollah une permission et une escorte. Quand le gouvernement a voulu faire cesser ces pratiques, les miliciens du Hezbollah ont attaqué. Ils avaient affirmé que leurs armes n’étaient tournées que vers Israël. Mais ils ont prouvé qu’ils voulaient conserver leurs prérogatives. Quitte à tirer sur des Libanais. M. Nasrallah a même déclaré qu’il possédait des armes pour défendre ses armes ! Avec ces nouveaux cercles concentriques, on n'en finit plus. En 2000, lorsque l'armée israélienne s'est retirée du Sud, le Hezbollah n'a pas voulu désarmer. Il a sorti comme prétexte les fameuses fermes de Cheba'a [quelques arpents de terre qui appartiendraient à la Syrie]. Durant l'été 2006, ils ont procédé à un coup de main contre une patrouille israélienne, fait des prisonniers, et on a eu la guerre pendant deux mois. Il affirme détenir encore plus de missiles pour attaquer Israël à nouveau, sans se préoccuper de l’opinion des Libanais et du gouvernement. Cette affaire de téléphone et de caméra n’était qu’un prétexte. Leur but ? Affaiblir le gouvernement. Ils y ont réussi avec ce coup de force.»
«CHRETIENS ET DRUZES
SONT DEVENUS MINORITAIRES»
Malgré les risques, le chef druze tient à sa tournée dans son fief du Chouf, qui a résisté aux attaques du Hezbollah, avant d’embarquer dans l’avion qui emmène tous les protagonistes à la réunion de la dernière chance à Doha, sous l’égide du Qatar. Il veut s’arrêter à Khaldé, un village du bord de mer où réside Talal Arslane, un leader druze, allié du Hezbollah et proche de la Syrie. Face à la menace de guerre civile, Arslane a mis de côté sa rivalité avec Joumblatt. «Il m’a téléphoné pendant les combats, pour savoir si j’avais besoin d’aide. Il est normal que je lui rende visite», me dit Joumblatt. En fin politique qui protège sa communauté, «Walid Bey» est venu calmer le jeu. «Le recours aux armes est sans issue, dit-il aux Druzes de l’autre bord. Le pays a traversé une crise grave. Il reste à remettre en avant notre coexistence avec la communauté chiite de la montagne.»
Nous reprenons la route. Direction Choueifate, village druze noyé au milieu d’une population chiite. «Ce sont des HLM fortifiées. Ils tirent depuis ces immeubles», confie Joumblatt. Ici, les combats ont été violents : une quinzaine de morts et une vingtaine de blessés. Les Druzes ont été attaqués à l’arme lourde. La maison de Haytham al-Jurdi, le maire, n’a pas été épargnée. Il nous attend au milieu des gravats. La bâtisse a reçu plusieurs roquettes. Autour, les villageois attendent le chef. Vêtus du sarouel, le pantalon bouffant noir, et coiffés de la calotte blanche traditionnelle, les cheiks sont venus saluer Walid Bey. Là aussi, il essaye de calmer les esprits avec des phrases d'apaisement : «Le meilleur moyen de se défendre est le dialogue et la coexistence avec les villages voisins.» Sous-entendu, avec ceux où vivent les chiites, qui construisent toujours plus, dans une région druze. «L’Iran finance, et leurs familles comptent de nombreux enfants, me souffle Walid. Monogames et citadins, les couples druzes n’ont plus que deux enfants en moyenne. Avec les chrétiens, nous sommes de plus en plus minoritaires. Nous avions combattu avec les chiites pendant l’invasion israélienne. Mais le fanatisme engendre la situation actuelle.»
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le leader druze est venu rendre visite à des cheiks
de sa communauté dans le Chouf.
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Nous abandonnons la Mercedes blindée pour un Range Rover. Le contraire serait mal compris. Dans sa montagne, Walid est en sécurité. Même si un attentat est toujours possible. Il conduit vitre baissée, saluant de la main les gens massés au bord de la route, qui lui jettent des poignées de grains de riz, censés porter bonheur. A chaque arrêt, la foule entoure sa voiture, sous les applaudissements et les youyous des femmes : «Ils me demandent armes et munitions, précise Joumblatt. Ce serait une erreur : notre puissance de feu sera toujours inférieure à celle du Hezbollah. Face à une attaque massive, nous ne tiendrions qu’une semaine. Leur coup de force voulait démontrer que nous sommes à leur merci. Il faut accepter le fait accompli, en cohabitant avec l’Etat Hezbollah, tout en conservant un minimum d’indépendance. L’axe irano-syrien a réussi à implanter au Liban une force censée prendre en étau Israël, avec le Hamas à Gaza, poursuit-il. Depuis qu’Ahmadinejad et ses pasdarans sont au pouvoir à Téhéran, le Hezbollah s’affirme comme leur tête de pont sur cette rive de la Méditerranée. Dans des semi-remorques arrivés de Syrie – transportant officiellement des marchandises –, ils dissimulent des fusées en pièces détachées, capables d’atteindre Jérusalem. Le Hezbollah dispose de rampes de lancement mobiles, cachées dans les quartiers sud de Beyrouth. Personne ne contrôle la frontière avec la Syrie, ajoute-t-il. Les routes militaires sont interdites au public. Il existerait même des souterrains entre les deux pays.»
A Baïssour, nous rejoignons Ghazi Aridi, le ministre de l’Information, resté bloqué dans sa maison plus de deux heures, sous les tirs de miliciens chiites embusqués dans Leyfoun, une ville peuplée de 30 000 habitants qui domine le village druze. Des combats ont éclaté, mais les combattants druzes n’ont pas failli à leur réputation de guerriers. Et ont décimé un convoi d’une trentaine de véhicules du Hezbollah. Côté chiite, il y aurait eu une cinquantaine de victimes. Certaines auraient eu les mains tranchées... Aujourd’hui, Walid ne veut voir que l’avenir, plutôt sombre : le Liban est au bord de la guerre civile. Même si le Hezbollah lâche du lest à la réunion de Doha, il ne transigera pas sur son désarmement. D’où le souhait des autres communautés de s’armer. Plus personne ne croit que le Hezbollah ne tournera pas une nouvelle fois ses fusils contre la population, y compris contre ses frères musulmans.
A Aley, Joumblatt est accueilli avec des cris de joie: «Walid Bey, avec notre sang, avec notre cœur!», scande la foule. Dans la mairie, le leader druze tente une nouvelle fois de calmer les esprits. «J'insiste sur le fait que l'armée et les forces de l'ordre sont notre unique protection. Nous espérons un jour, que seul l'Etat aura le monopole des armes.» Sur le chemin du retour à Beyrouth, Walid se confie : «Le malheur du Liban, c’est que la Syrie le considère comme sa province, tandis que l’Iran y a développé une force qui lui est acquise.» Dans la capitale, diplomates et spécialistes le savent : la pléthorique ambassade d’Iran «conseille» de très près le Hezbollah. Pour les sunnites, c’est inadmissible. L’antagonisme sunnisme-chiisme, incarné par l’Arabie saoudite et l’Iran, se traduit au Liban par la plus forte crise depuis la guerre civile. Dans son palais de Koraytem, où Saad Hariri vit reclus, l’ambiance est mortifère.
L’IRAN CONTINUERA DE DICTER
SES ORDRES
Le fils du Premier ministre assassiné n’a pas voulu engager de combat contre le Hezbollah, refusant la responsabilité de déclencher une nouvelle guerre, et ne disposant pas de miliciens aguerris. Le calcul politique était risqué, mais partiellement réussi. En attaquant Beyrouth et non Israël, les « résistants » autoproclamés du Hezbollah ont tombé le masque : pour la majorité des Libanais, leur but consiste à contrôler le gouvernement. «Pour nous, Doha, c’est Munich en 1938, quand Paris et Londres ont signé la paix avec Hitler, me confie un négociateur sunnite. Le Hezbollah ne lâchera pas ses armes. L’Iran continuera de dicter ses ordres au gouvernement. Des fusées à longue portée pourraient être déployées au Liban et menacer les côtes européennes si, par exemple, le bras de fer avec Téhéran se poursuit à propos du nucléaire. Quant aux sunnites libanais, qui accusent leurs chefs de ne pas les avoir protégés des chiites, ils pourraient être attirés par les extrémistes, et ouvrir leurs bras à Al-Qaïda. Déjà, à Tripoli, des cheiks salafistes appellent à la guerre contre les chiites, comme en Irak. Un chaos alors inévitable et menaçant pour l’Europe aussi.» «Stopper cet engrenage est très difficile, soupire Walid Joumblatt. Les intellectuels chiites en désaccord avec le Hezbollah ne peuvent rien dire : ils sont impuissants devant le fanatisme religieux et M. Nasrallah, qui se croit infaillible», dit-il, en levant les yeux au ciel.
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