Wednesday, 14 May 2008

À Choueifate, les habitants ont défendu leurs maisons avec les moyens du bord

La localité druze a enterré hier cinq de ses habitants tombés dimanche
À Choueifate, les habitants ont défendu leurs maisons avec les moyens du bord
L'article de Patricia KHODER
Choueifate a enterré hier cinq hommes, Amine Souki, Chadi Souki, Fady Souki, Marwan Jurdi et Chadi Arbid. Ils ont été tués dimanche aprè
s-midi alors qu’ils défendaient leur localité, envahie par les miliciens du Hezbollah. La tension régnait toujours hier dans cette localité majoritairement druze, qui compte une importante minorité chrétienne et sunnite ainsi que des habitants chiites établis depuis plusieurs dizaines d’années dans la zone.
Dans la matinée, l’armée bloquait toujours l’entrée de la localité où un grand drapeau jaune du Hezbollah a été planté. Pour arriver donc à Choueifate où des dizaines et des dizaines de maisons et de bâtiments sont criblés de balles, il fallait prendre des ruelles secondaires.
C’est par ces rues secondaires et par la route principale que les miliciens du Hezbollah sont arrivés dimanche peu après 14h30 au village.
Dans une épicerie, une femme du troisième âge, couvrant ses cheveux avec le foulard blanc traditionnel de la communauté druze, raconte qu’en début d’après-midi dimanche, des hommes armés jusqu’aux dents, des miliciens du Hezbollah, portant un uniforme semblable à celui de l’armée, sont entrés dans le village. Ils ont commencé à tirer en direction des immeubles et des magasins.
D’autres personnes se joignent à la vieille cheikha, racontent les incidents et parlent des voisins chiites qui ont quitté Choueifate samedi ou dimanche matin à la veille ou à quelques heures des événements.
À l’instar de tous les villages libanais, à Choueifate tous les habitants se connaissent. Et ici, les personnes agressées savent quel voisin de la communauté chiite a hébergé ou a aidé les miliciens du Hezbollah.
Cette vieille femme raconte que les miliciens du Hezbollah sont toujours à l’orée du village. D’ailleurs, ils ont installé une permanence non loin de l’entrée de la localité, dans une maison désertée par ses habitants peu après les événements. « Vous la reconnaîtrez au portrait de Hassan Nasrallah », dit-elle.
La cheikha indique encore : « Nous nous sommes défendus avec les moyens du bord. C’est notre droit, le Hezbollah nous a envahis. Si ça arrive encore une fois, ce sont les femmes et les enfants qui riposteront. »
Kamal, présent dans l’épicerie avec d’autres personnes, indique : « Nous n’avions aucun ordre de nous battre. » « D’ailleurs nous n’avons pas d’armes, alors que le Hezbollah a envahi Choueifate muni d’armes ultrasophistiquées », ajoute-t-il, énumérant les armes de petit, de moyen et de gros calibre que la milice a utilisées en envahissant la localité à majorité druze.
« Nous avons défendu notre village avec nos armes personnelles et à l’arme blanche », dit-il, ajoutant que « les miliciens du Hezbollah sont les nouveaux sionistes ». « La résistance, c’est nous – bien avant eux – qui l’avons inventée », indique-t-il.

Brouillage téléphonique
À Choueifate, tout le monde parle des diverses coupures de courant et du brouillage des lignes téléphoniques cellulaires et fixes qui ont eu lieu avant et durant l’entrée des miliciens du Hezbollah dans le village.
Dans cette localité qui compte des partisans du PSP et du Parti démocratique de Talal Arslane, tout le monde a la même version concernant les événements de dimanche. D’ailleurs, originaires du même village, appartenant à la même communauté religieuse, les druzes de Choueifate étaient ensemble, côte à côte, aux enterrements des cinq hommes tombés sous le feu du Hezbollah, notamment trois hommes de la famille Souki.
Leurs funérailles ont été organisées dans l’un des foyers du village. Amine Souki, la quarantaine, père de deux enfants, a été tué en défendant Choueifate. Il a pris son arme personnelle quand les miliciens ont fait irruption dans le village. Il s’est battu. Il a été blessé non loin de la municipalité.
Plusieurs proches racontent que « blessé, Amine a téléphoné à un ami pour qu’il vienne le secourir. Un milicien du Hezbollah est arrivé, lui a arraché le téléphone de ses mains et a parlé à la personne à l’autre bout de la ligne : “Votre camarade est mort”, en tuant Amine. Et le camarade a entendu le bruit du coup de feu qui a tué Amine à l’autre bout de la ligne ».
Chadi Souki, jeune marié, est fonctionnaire à la municipalité. Il était sorti pour secourir Amine. Il a été visé à la tête.
Fady Souki est un jeune homme qui sait à peine parler l’arabe. Il vit au Venezuela. Il est rentré au pays avec sa femme, il y a quelques semaines. Il devait repartir dans son pays d’accueil le 17 mai. Il ne portait pas d’armes. Il a été tué sous les yeux de sa jeune épouse. Il était en voiture, ils cherchaient un endroit sûr pour se cacher.
Dans le foyer de la famille Souki, où trois cercueils ont été déposés, les hommes et les femmes de « Bani Maarouf » laissent éclater leur colère.
Portant le foulard blanc du deuil, Ghada, la cousine d’Amine Souki, raconte : « J’étais avec ma voisine chiite et nos enfants. Je prenais le café. Les miliciens ont tiré en notre direction. Ma voisine a crié :“Je suis chiite comme vous”, ils n’ont rien voulu entendre. » « J’ai toujours soutenu la Résistance, j’ai même appelé mon fils Hadi, comme le fils de Hassan Nasrallah qui a été tué par les Israéliens, et voilà que le Hezbollah tourne ses armes contre nous. Est-ce cela leur lutte contre Israël ? Est-ce que la route de Jérusalem passe par Choueifate », s’insurge-t-elle.
Ici on n’est pas prêt d’oublier comment la communauté druze avait accueilli durant la guerre de juillet 2006 les réfugiés du Liban-Sud. Une femme lance : « Tous les jours je leur faisais la cuisine. Je me disais qu’il faut assurer un plat chaud aux réfugiés obligés de quitter leur maison… Voilà notre récompense. »

Saigné à mort
Chadi Arbid, 28 ans, a été également tué dans la rue en défendant son village.
Marwan Jurdi, 45 ans, père de quatre enfants, a été tué dans la rue. Il avait été atteint d’une balle à la jambe. Il avait une vieille Kalachnikov et rien que trente balles comme munitions.
Son sang était encore visible sur quelques voitures ; atteint à la jambe, à l’entrée de sa maison, il n’a pas été secouru à temps. Il s’est traîné vers la route principale, espérant des secours. Mais à cause de l’intensité des tirs, il est mort d’hémorragie sans avoir été soigné.
« Les cinq hommes qui sont tombés sont des martyrs parce qu’ils ont défendu leur terre, leur dignité », indique le frère de Marwan Jurdi qui recevait les condoléances hier.
Non loin de la maison de Marwan Jurdi se trouve la maison d’un membre du Hezbollah qui habite le village depuis plus de trente ans : « Regardez, lui et sa famille sont partis. C’est lui qui a amené les miliciens chez nous. Nous ne nous sommes pas vengés, parce qu’on est grand », indique un homme montrant une maison fermée quittée à la hâte. Il s’insurge : « Il faut que le Hezbollah sache, Choueifate n’est ni Tel-Aviv ni Kiryat Shmona. »
Une femme chiite habitant Choueifate passe et indique : « Amine Souki a élevé mes enfants. Ils étaient toujours avec lui. J’ai honte pour ma communauté. »
Choueifate compte deux autres tués : au début des événements, à la fin de la semaine dernière, deux jeunes hommes, Afif Nasser et Alaa Chaabane, partisans de Talal Arslane, ont été tués sur la route de Dawhat Aramoun. Selon les partisans d’Arslane, ils ont été tués par des miliciens du Courant du futur. Les partisans du PSP indiquent de leur côté que les deux jeunes ont été tués par traîtrise par le Hezbollah.
Sur l’ancienne route de Saïda, une villa criblée de balles est gardée par l’armée libanaise. Dans cette villa, se trouvait un cheikh druze de Deir Koubel et une dizaine d’hommes. Selon les voisins, des affrontements y ont eu lieu dimanche et toutes les personnes qui étaient dans la villa ont péri. Toujours selon les habitants, certaines de ces personnes ont été exécutées.
À Choueifate, la presse a fait état d’une quinzaine de tués dans les rangs du Hezbollah.
Dans cette localité, les hommes rencontrés tiennent les mêmes propos : « Que le monde entier le sache, les druzes se sont défendus avec des couteaux, des fusils de chasse et des Kalachnikov rouillés. Nous n’avons plus que des armes personnelles. Nous n’avions pas des directives pour nous battre. Nous nous sommes tout simplement défendus pour que ceux qui ne connaissent pas l’histoire sachent que les druzes ne peuvent pas être humiliés. »

Patricia KHODER

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